⏵ 1. Politique des langues
⏵ Introduction
Selon la loi sur les langues (loi fédérale sur les langues nationales et la compréhension entre les communautés linguistiques), la Confédération et les cantons «dans le cadre de leurs attributions [...] encouragent le plurilinguisme des enseignants et des apprenants» (section 3). Par cette loi, la Confédération vise, selon l'art. 2
a) à renforcer le quadrilinguisme qui caractérise la Suisse;
b) à consolider la cohésion nationale;
c) à encourager le plurilinguisme individuel et institutionnel dans la pratique des langues nationales;
d) à sauvegarder et à promouvoir le romanche et l’italien en tant que langues nationales.
Sur la base de cette loi, la Confédération peut accorder des aides financières aux cantons dans le but de promouvoir des projets. Ces aides peuvent entre autres porter sur l'acquisition d'une autre langue nationale par un enseignement immersif (cf. Promotion des langues nationales dans l'enseignement, Office fédérale de la culture).
En Suisse, l'enseignement immersif se pratique essentiellement dans les cantons bilingues ou trilingues ou au niveau du secondaire 2 (Elmiger et al. 2022, 16). Dans les autres cantons, il se fait de plus en plus fréquemment sous forme de projets. Neuchâtel est le seul canton monolingue à avoir introduit l'enseignement immersif au niveau de l'école obligatoire sur l'ensemble de son territoire (Biundo 2016, 57).
⏵ 1.1. Arguments pour l’enseignement immersif
Quels sont les avantages de l'enseignement immersif à l'école obligatoire ?
Les expert.e.s citent comme bénéfice de l'enseignement immersif la grande motivation des apprenant.e.s et leurs compétences linguistiques accrues, notamment au niveau réceptif, ainsi que leurs attitudes envers les langues et l'apprentissage en général. En outre, l'enseignement immersif normalise la réalité multilingue qui prévaut en dehors du contexte scolaire.
Raphael Berthele
Laurent Gajo
Quels sont les résultats scolaires dans l'enseignement immersif?
Des études montrent que l'enseignement immersif apporte un bénéfice à l'école obligatoire (Borel et al. 2019 ; Fourcaud 2021 ; Jenny 2023). Les enfants et les jeunes des classes immersives obtiennent de meilleurs résultats dans les langues étrangères que celles et ceux des classes régulières. En langue de scolarisation, elles et ils obtiennent des résultats équivalents. En mathématiques et en anglais, les résultats des enfants et des adolescent.e.s des classes immersives sont en général également meilleur.e.s (p.ex. DESI 2006).
Marie-Antoinette Oberdorf
Giuseppina Biundo
Pourquoi les résultats scolaires sont-ils dans la plupart des cas meilleurs dans l'enseignement immersif?
Les résultats scolaires dans l'enseignement immersif peuvent être attribués à différentes raisons:
- augmentation du nombre d'heures de contact avec la langue étrangère lorsqu'elle n'est pas seulement utilisée dans l'enseignement des langues étrangères, mais aussi dans d'autres disciplines,
- suppression conséquente des barrières linguistiques par des négociations de sens plus nombreuses et un enseignement conscient de la langue et/ou des formes d’enseignement d’après l’approche actionnelle,
- mise en place et le développement intensifs de stratégies de résolution de problèmes par la confrontation avec une langue étrangère.
- changement d'attitude face aux erreurs linguistiques: l'objectif premier est la compréhension et non la correction, ce qui peut lever les inhibitions et renforcer les compétences linguistiques.
⏵ 1.2. Langues nationales ou anglais
Dois-je proposer un enseignement immersif dans une langue nationale ou en anglais ?
Les enfants et les jeunes en Suisse sont (parfois considérablement) moins en contact avec les langues nationales allemand / français / italien / romanche, contrairement à l'anglais qu'elles et ils utilisent souvent dans leurs loisirs. Il est donc intéressant d'augmenter plutôt le temps de contact avec l'autre langue nationale par le biais d’un enseignement immersif.
Souvent, les adolescent.e.s apprécient davantage l'anglais que les langues nationales, tandis que les jeunes enfants ont moins de préjugés à l'égard des langues nationales. C'est justement parce que les langues nationales semblent plus difficiles à apprendre que l'anglais qu'elles devraient être soutenues par des heures de contact supplémentaires par un enseignement immersif. Du fait que la langue est utilisée comme moyen de communication et que les erreurs ne jouent (presque) aucun rôle, l'accent se déplace vers une utilisation fonctionnelle de la langue. Cela signifie que c'est avant tout le nouveau contenu qui doit être compris. Cette utilisation de la langue est généralement perçue comme positive par les élèves et permet un rapport plus décontracté avec la langue étrangère.
Lorsque les élèves reçoivent un enseignement immersif dans une langue nationale, elles et ils sont également meilleur.e.s en anglais, même si ces élèves ne suivent pas d'enseignement immersif en anglais. L'inverse n'est pas le cas: si l'enseignement immersif est dispensé en anglais, les élèves progressent moins dans les langues nationales (cf. chap. 1.1).
Raphael Berthele
Laurent Gajo
Pia Effront-Finck
Giuseppina Biundo
Pia Effront-Finck
Giuseppina Biundo
Patrice Clivaz
⏵ 1.3. Société et médias
Comment l'opinion publique est-elle influencée ?
La Suisse est officiellement quadrilingue, même si beaucoup plus de langues sont parlées que l'allemand, le français, l'italien et le romanche (CDIP 2024). Le plurilinguisme est inscrit dans la loi sur les langues et l'Office fédéral de la culture est chargé de promouvoir les langues et les cultures qui y sont liées.
Cependant, de nombreux préjugés règnent dans la société à l'égard des autres langues nationales. Ceux-ci sont parfois renforcés et cimentés par les médias (p. ex. «L’allemand, une langue moche et compliquée?», Blick, 15.10.2021 / «Apprendre l’allemand ne doit plus être un casse-tête pour nos enfants», RTS, 30.1.2020).
Lors de la mise en œuvre d'un projet immersif, le travail de relations publiques est un élément important pour contrer les idées préconçues sur l'immersion, pour expliquer ce qu'est l'enseignement immersif, pour réduire les craintes et pour impliquer les parents et les responsables de la commune.
Marie-Antoinette Oberdorf
Gian-Paolo Curcio
Marie-Antoinette Oberdorf
⏵ 2. Rôle des autorités politiques et scolaires
Quelles sont les conditions de réussite pour un bon démarrage de projet ?
Le lancement d'un projet immersif doit être bien réfléchi et, si possible, reposer sur une décision politique. Le point de départ peut être un projet pilote implanté sur un site choisi. Vouloir se lancer immédiatement sur l'ensemble d’un territoire n'a pas fait ses preuves dans les projets passés.
Il faut un concept, qui peut par exemple être élaboré sur la base d'un concept existant dans un autre canton. Les contacts au-delà des frontières cantonales, y compris avec des cantons d’une autre langue, sont très importants.
Giuseppina Biundo
Patrice Clivaz
Caroline Kempf
Caroline Kempf
Comment un projet peut-il être maintenu à long terme ?
Pour qu'un projet soit couronné de succès, il est indispensable de communiquer de manière rigoureuse avec toutes les personnes concernées: il faut informer les autorités, les médias, les directions d'école, les enseignant.e.s, les centres de formation initiale et continue, les parents, etc. En outre, les ressources financières doivent être garanties. Il faut s'attendre à des coûts pour la formation continue des enseignant.e.s, pour l'achat de matériel et pour une éventuelle indemnisation des enseignant.e.s pour le travail supplémentaire à effectuer (les premières années). Les relations publiques requièrent également des moyens pour faire connaître le projet. Pour une mise en œuvre à plus long terme, un suivi scientifique est indispensable, complété éventuellement par une évaluation.
Giuseppina Biundo
Laurent Gajo
⏵ 3. Différents modèles
Il n'existe pas un enseignement immersif unique, mais une multitude de formes différentes. De nombreux paramètres tels que le profil de l'enseignant.e et des élèves, le cycle et le niveau scolaire, les spécificités régionales, etc. sont déterminants pour trouver le modèle adéquat (cf. Le Pape Racine 2024).
⏵ 3.1 Cycle et degré scolaire
Quel est le degré le plus adapté à l'enseignement immersif ?
Chaque cycle et chaque degré scolaire présentent des avantages et des inconvénients. L'enseignement immersif peut être mis en œuvre à tous les âges, en tenant compte des conditions spécifiques des élèves telles que l'âge ou les connaissances préalables dans la langue étrangère.
Au cycle 1, les élèves sont généralement très motivés et fiers de découvrir de nouveaux contenus et de construire des connaissances dans une langue étrangère. Cependant, ils n'ont pas encore de cours de langue étrangère, ce qui implique que l'enseignant.e doit offrir un soutien linguistique adéquat.
Au cycle 2, l'enseignement des langues étrangères commence, ce qui peut soutenir et alléger l'enseignement immersif. Au niveau primaire, les enseignant.e.s (titulaires) ont souvent la possibilité d'enseigner de manière interdisciplinaire. Par exemple, ils traitent le même sujet en allemand et en sciences, les moyens linguistiques étant mis en place dans l'enseignement des langues étrangères afin que la langue ne constitue plus une barrière pour les élèves en sciences. Cependant, les apprenant.e.s du cycle 2 sont encore jeunes et n'ont que peu de connaissances en langues étrangères.
Au cycle 3, les apprenant.e.s présentent déjà une compétence linguistique plus élevée dans la langue étrangère. Mais en même temps, la motivation d'apprentissage peut diminuer à cet âge. L'élargissement de l'éventail des disciplines à ce degré scolaire rend en outre difficile l'enseignement interdisciplinaire, ce qui oblige les enseignant.e.s à intégrer l'enseignement immersif dans leurs leçons régulières.
Parallèlement, les élèves plus âgé.e.s disposent d'une capacité de réflexion plus développée et reconnaissent généralement l'utilité fonctionnelle de pouvoir développer de manière ciblée leurs compétences réceptives en langues étrangères grâce à l'enseignement immersif.
Pia Effront-Finck
Pia Effront-Finck
Marie-Antoinette Oberdorf
⏵ 3.2 Disciplines appropriées, Pédagogie par projets
Quelles sont les disciplines qui se prêtent à l'enseignement immersif ?
En principe, toutes les matières peuvent être enseignées de manière bilingue, tant que les contenus sont concrets. Des disciplines comme les arts ou l’éducation physique sont idéales, car beaucoup de choses peuvent être montrées et commentées. Mais il existe aussi des contenus d'enseignement très concrets dans des disciplines plus abstraites comme la géographie ou les mathématiques (cf. Kursmappe, chapitre 2.1).
Quel est l'avantage d’une pédagogie par projets ?
L'un des grands avantages de la pédagogie par projets est qu'elle permet de dépasser les limites de la répartition traditionnelle des matières - ce qui est particulièrement avantageux pour l'enseignement immersif, où les contraintes de temps sont souvent présentes. En associant des disciplines linguistiques (allemand, français, anglais) à des disciplines dites non linguistiques (comme les sciences ou les mathématiques), on crée de précieuses synergies qui permettent d'organiser l'enseignement de manière plus flexible dans le temps et d'y intégrer des changements de langue.
Si l'on parvient à créer des phases linguistiques intensives sur une période de plusieurs semaines, cela permet d'obtenir des résultats d'apprentissage extrêmement positifs (cf. p. ex. le mois de français au Oberstufenzentrum Leimental, p. 43).
Les semaines de projet à l'échelle de l'école offrent une plateforme idéale dans ce contexte. Lors de telles semaines, il est possible de proposer des ateliers dans les différentes langues de l'école (allemand, français, anglais), ce qui favorise non seulement les échanges interdisciplinaires, mais permet également d'apprendre en mélangeant les âges.
De même, lors d'événements scolaires auxquels participent des parents, les directions et/ou les enseignant.e.s peuvent promouvoir le plurilinguisme de manière ciblée en rendant certaines parties de l'événement bilingues, voire trilingues. Ainsi, le plurilinguisme est activement ancré dans la vie scolaire.
Caroline Kempf
Pia Effront-Finck
⏵ 3.3. Mise en place de filières bilingues (continuité verticale)
Quelles sont les écoles obligatoires avec des filières bilingues de la 1H à la 11H ?
En Suisse, il n'existe que peu de cantons dans lesquels les élèves peuvent bénéficier d'un enseignement immersif de la 1e HarmoS jusqu’à la fin de l’école obligatoire (cf. Kursmappe, chapitre 1.2). Neuchâtel est le seul canton monolingue où cela est possible depuis 2010 grâce au programme PRIMA.
L'introduction d'une filière bilingue nécessite un développement scolaire ciblé, soutenu tant par la direction d'école que par les autorités compétentes.
Avant de planifier et de mettre en œuvre une filière bilingue complète, il est essentiel de s'assurer que des ressources humaines suffisantes sont disponibles. Les enseignant.e.s doivent suivre suffisamment tôt des formations continues appropriées et disposer de suffisamment de temps pour se préparer à la nouvelle forme d'enseignement.
Quelles sont les écoles obligatoires avec des classes immersives isolées ?
La grande majorité des projets bilingues à l'école obligatoire suisse concerne des classes isolées qui bénéficient d'un enseignement immersif sur deux à quatre ans (p. ex. classes enfantines de la Vignettaz, FR).
En d'autres termes, l'enseignement immersif ne doit pas être proposé sur l'ensemble de la scolarité, mais peut être limité à certaines années scolaires. Il est certes regrettable que l'expérience bilingue se termine après une seule année scolaire, mais même dans un temps limité, les élèves profitent de chaque heure supplémentaire pendant laquelle ils ont un contact intensif avec la langue cible.
Souvent, un projet bilingue dans une école est lancé par des enseignant.e.s motivé.e.s qui commencent dans leurs classes et entraînent progressivement les collègues selon le principe de la boule de neige (voir p.ex. ANIMA, NE ou SOprima, SO).
En principe, une telle approche dite bottom-up est préférable à une approche dite top-down. Si une direction oblige les enseignant.e.s à dispenser un enseignement immersif sans qu’ils ou elles en soient réellement convaincus, la qualité de cette forme d'enseignement en pâtit considérablement.
Quelles sont les raisons de dissoudre une filière bilingue ?
Lorsqu'il n'y a qu'une seule filière bilingue dans un lieu scolaire, cela signifie que les enfants et les jeunes passent toute leur scolarité dans la même classe. Cela peut conduire à un comportement de type clanique. Il est intéressant de compléter les classes immersives par des élèves motivé.e.s afin d'alléger l'ambiance de la classe.
En Alsace, les élèves peuvent changer d'établissement ou de classe au cours de leur scolarité obligatoire et ce jusqu'à l'ABIBAC, car l'offre est importante (cf. Kursmappe, chapitre 1.4). Certains abandonnent malgré tout le système bilingue, notamment parce que les parents, ne maîtrisant pas l'allemand eux-mêmes, craignent de ne pas pouvoir accompagner leurs enfants dans leur apprentissage.
⏵ 3.4. Sélection des élèves
Comment sélectionner les élèves pour la filière bilingue ?
Les expériences montrent que la demande des parents est grande dès qu’une offre immersive se présente. Lorsque la demande dépasse l'offre, il devient nécessaire de définir des critères d'admission.
Une première option serait de prendre en compte l'ordre d'inscription («premier arrivé, premier servi») ou de considérer la biographie linguistique des apprenant.e.s. Cela pourrait avantager les enfants et adolescent.e.s plurilingues ou celles et ceux qui grandissent déjà dans un environnement germanophone. Une autre possibilité serait de laisser les parents choisir librement l'inscription de leur enfant dans une filière bilingue. Cependant, de tels critères pourraient favoriser l'émergence de «classes élitistes», car les parents issus de milieux plus éduqués sont souvent plus conscients des avantages d’un enseignement immersif et inscrivent plus facilement leurs enfants, contrairement aux parents moins instruits. Malgré cela, l’engagement de tous les acteurs est souvent très élevé, comme en témoignent des exemples tels que Sierre/Siders ou Bienne/Biel.
Une autre approche consisterait à laisser le hasard décider, par exemple en procédant à un tirage au sort ou en intégrant systématiquement tous les enfants du secteur scolaire dans la filière bilingue. Cela permet d'éviter la formation de classes élitistes. Toutefois, le tirage au sort présente l'inconvénient de ne pas toujours placer les frères et sœurs dans le même programme. L'intégration basée sur le secteur scolaire peut rendre certains quartiers particulièrement recherchés par des familles avec enfants en âge scolaire, comme on l'a observé à Neuchâtel.
Dans les écoles privées, d'autres critères de sélection peuvent s'appliquer. Par exemple, l'École Moser accueillait à l'origine des enfants qui éprouvaient des difficultés dans l'enseignement public. Aujourd'hui, cette école est devenue exigeante et n'admet que des élèves ayant de bons résultats scolaires.
⏵ 3.5. Signification de la langue
Quels sont les objectifs de l'enseignement immersif ?
L'enseignement immersif se concentre en premier lieu sur les objectifs d'apprentissage de la matière concernée. Les contenus disciplinaires sont au premier plan, tandis que la langue sert de moyen pour transmettre ces contenus. Il s'agit de retirer autant que possible les barrières linguistiques afin que les élèves puissent acquérir et mettre en œuvre efficacement les compétences disciplinaires. Un objectif central consiste donc à ne pas percevoir la langue comme un obstacle, mais comme un outil permettant de soutenir l'apprentissage dans la matière.
Comment s'assurer que la langue ne constitue pas un obstacle à l'apprentissage disciplinaire ?
Pour s'assurer que la langue ne constitue pas un obstacle à l'apprentissage disciplinaire, il existe différentes approches méthodologiques. Dans l'enseignement immersif, les enseignant.e.s sont particulièrement attentives/attentifs aux obstacles linguistiques et tentent de les réduire par des méthodes d'enseignement et du matériel adaptés. Il s'agit notamment d'introduire soigneusement les termes techniques et les contenus complexes et de clarifier les termes difficiles en classe (cf. Kursmappe, chapitre 3.3). La langue devient ainsi un instrument conscient de la pensée et de la communication. Cette combinaison d'apprentissage linguistique et disciplinaire conduit à un enseignement sensible à la langue, dans lequel la langue est utilisée activement pour favoriser l'apprentissage.
Au fil du développement de l'enseignement immersif, diverses approches méthodologiques se sont révélées efficaces et peuvent être appliquées avec flexibilité en fonction des besoins des élèves et des enseignant.e.s. Une approche consiste à traiter un sujet exclusivement dans la langue cible, l’allemand, sur une période définie, suivie d'une brève révision en français. Cela favorise à la fois la compréhension des contenus disciplinaires et l’acquisition linguistique dans les deux langues.
Un autre modèle largement répandu aujourd'hui est l’intégration entre langue et contenu qui suppose la prise en compte de la dimension langagière de la discipline, autrement dit l’identification des besoins langagiers des élèves pour traiter le contenu disciplinaire. Ainsi, l’enseignant.e peut avoir recours à l'alternance planifiée des langues (Sprachwechsel, code-switching) au cours d'une séquence pédagogique puisque cette méthode consiste à définir en amont les moments où la langue de scolarisation sera utilisée, ceux où la langue cible interviendra, ainsi que les phases où les deux langues seront employées en parallèle.
Quelle langue les élèves apprennent-ils dans l'enseignement immersif ?
Dans l'enseignement immersif, les élèves apprennent à la fois la langue académique et la langue spécifique à la discipline. Il s'agit de registres de langue qui s’appliquent au contexte scolaire. Idéalement, dans l'enseignement immersif, les termes spécifiques sont appris à la fois dans la langue de l’école et dans la langue cible, afin de permettre une compréhension globale et un point de départ linguistique optimal.
Outre la langue académique, l'enseignement immersif permet également de s'exercer à un autre registre de langue plus informel, notamment lors de l'utilisation du langage de la classe (Klassenzimmersprache). La gestion de la classe devrait se faire principalement dans la langue cible, en recourant autant que possible à des expressions connues de l'enseignement des langues étrangères, si celui-ci fait déjà partie de la grille horaire.
Comment choisir le vocabulaire à apprendre ?
Lors du choix du vocabulaire dans l'enseignement immersif, il convient de trouver un équilibre judicieux. Il n'est pas nécessaire d'aborder tous les mots d'un domaine thématique. Il convient plutôt de choisir les termes centraux qui sont indispensables à une communication réussie sur les contenus spécialisés. Cette approche ciblée aide les élèves à saisir l'essentiel sans être submergés par l'abondance de nouveaux mots.
Dans l'enseignement immersif, l'acquisition de la langue est axée sur le contenu. Cela signifie que les élèves apprennent les termes et les structures de la langue cible dans le contexte des sujets traités. Par exemple, dans un enseignement plus traditionnel des langues étrangères, les 7 jours de la semaine, les 12 mois de l'année ou toutes les couleurs seraient systématiquement enseignés et appris dans leur ensemble. En revanche, dans l'enseignement axé sur le contenu et dans l'enseignement immersif, le vocabulaire est orienté vers les thèmes actuels. Ainsi, il se peut que les enfants apprennent la couleur «verte» parce qu'ils explorent la forêt au printemps, alors que le «rouge» et le «marron» ne jouent un rôle qu'en automne. Ce choix peut surprendre au premier abord, mais le lien avec des choses ou des activités concrètes facilite l'apprentissage de la langue à long terme et permet de mieux mémoriser les termes que si l'apprentissage des mots était isolé.
À côté des phases communicatives au cours desquelles les élèves sont exposé.e.s à la langue cible, il existe également des phases de «Form-Focus Instruction». Ces phases servent à l'enseignement explicite de structures grammaticales ou à l’entrainement ciblé de la langue. Elles se déroulent idéalement dans un cours de langues étrangères, pour autant que celui-ci fasse partie de la grille horaire.
⏵ 3.6. Spécificités régionales
Quelles sont les régions qui se prêtent particulièrement à l'enseignement immersif ?
L'enseignement immersif est particulièrement adapté aux régions et cantons multilingues de Suisse. Des cantons comme le Valais, Fribourg, Berne et les Grisons, où l'on parle deux langues ou plus, offrent un environnement naturel pour l'enseignement immersif. Dans ces cantons, il existe des modèles déjà établis, notamment au niveau secondaire II, mais aussi des projets au niveau de l'école obligatoire qui fonctionnent avec succès depuis plus de 30 ans, comme en Valais (cf. Kursmappe, chapitre 1.3).
Les régions situées à proximité de la frontière linguistique se prêtent également à l'introduction d’un enseignement immersif. Cela concerne des cantons de Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Soleure, Jura et Neuchâtel. Bien que ces cantons soient officiellement considérés comme unilingues, ils bénéficient de la proximité de la frontière linguistique et des influences linguistiques et culturelles qui en découlent.
L’objectif ne devrait cependant pas être de mettre en place simultanément des écoles immersives sur l’ensemble du territoire. Au lieu de cela, les écoles qui souhaitent se profiler par une offre bilingue devraient être soutenues dans la mise en œuvre. Des lieux spécifiques pourraient être sélectionnés, où se trouvent des enseignant.e.s motivé.e.s et qualifié.e.s présentant le profil adéquat. Cette approche sélective garantit une meilleure qualité de l'enseignement et favorise la motivation. Au fil du temps, d’autres écoles s’y ajouteront progressivement, suivant un effet boule de neige.
Quelles sont les raisons propres à une région d'ouvrir des classes immersives ?
L'une des raisons de l'introduction de classes immersives est l'avantage économique: l'enseignement immersif favorise la maîtrise d'une autre langue, ce qui offre de meilleures opportunités professionnelles aux élèves. Dans les Grisons, les filières bilingues peuvent supprimer dans une certaine mesure la concurrence entre l'allemand et le romanche ou l'italien. Dans les régions frontalières, le bi- ou le plurilinguisme est demandé sur le marché du travail.
Outre les aspects économiques, il existe également des raisons historiques à l'enseignement immersif. Ainsi, en Alsace, la langue allemande joue un rôle particulier. L'enseignement immersif maintient cette dimension historique vivante et permet un accès plus profond à sa propre culture.
Les aspects de politique linguistique sont également décisifs dans certaines régions pour l'ouverture de classes immersives, lorsqu'il s'agit de préserver des langues minoritaires comme le romanche ou l'alsacien. Les offres immersives contribuent à ce que ces langues continuent à jouer un rôle dans la vie quotidienne des enfants et des jeunes et peuvent ainsi être préservées.
Raphael Berthele
Raphael Berthele
⏵ 4. Rôle des directions d'école
Quelle est l'importance de la direction d'école dans la mise en œuvre d'un projet bilingue ?
La direction d'école est cruciale pour une introduction et une mise en œuvre d'un projet bilingue couronnées de succès. Elle joue le rôle d'une «courroie de transmission» qui relie tous les groupes impliqués – enseignant.e.s, élèves, parents, service et commune. Sans l'accord et le soutien actif de la direction, un projet bilingue ne peut pas être réalisé.
La direction renforce le projet en particulier lorsqu'elle agit avec un engagement et une conviction personnelle. Si elle transmet son enthousiasme à l'extérieur, cela a un effet motivant sur les parents et le cercle scolaire, ce qui augmente l'acceptation et le soutien du projet. Un démarrage progressif, par exemple à un certain niveau de classe ou dans un petit établissement scolaire, peut favoriser une dynamique positive et permettre au projet de se développer de manière organique.
Que doit faire exactement une direction d'école ?
Une direction doit tout d'abord trouver les ressources en personnel nécessaires, attribuer les enseignant.e.s à des équipes spécifiques et créer des possibilités de formation continue en didactique et en langue pour les enseignant.e.s, par exemple sous forme d'offres de cours et/ou de stages d'observation dans une autre classe immersive. En outre, elle doit garder à l'esprit les besoins des enseignant.e.s en bilingue ou des classes immersives lors de l'organisation des horaires.
La direction d'une école peut également rémunérer les enseignant.e.s des classes immersives pour leur travail supplémentaire. A cet égard, il est recommandé que les enseignant.e.s soient indemnisé.e.s par des leçons de décharge, par exemple au début durant deux années scolaires. En règle générale, le cadre d'une éventuelle décharge est réglé au niveau communal et/ou cantonal.
La direction d'école assure également la communication vers l'extérieur et l'intérieur, elle doit être prête à faire face aux imprévus et à aborder et résoudre les éventuels conflits au sein du corps enseignant ou avec les parents.
Comment une direction d'école se met-elle au courant des connaissances actuelles ?
Pour rester informé.e des tendances actuelles et des méthodes éprouvées et pour les intégrer de manière ciblée dans le projet, une collaboration avec une haute école pédagogique est recommandée.
Un échange régulier avec d'autres directions d'écoles qui mènent des projets bilingues est également précieux. Cela peut être soutenu par la mise en place d'un comité de pilotage, organisé par le service et composé de directions d'école, d'enseignant.e.s et de membres de l'administration. Le comité de pilotage se réunit plusieurs fois par an afin de discuter des bonnes pratiques, d'échanger sur des problèmes concrets et de développer des solutions en commun.
Laurent Gajo
Marie-Antoinette Oberdorf
Pia Effront-Finck
⏵ 5. Enseignant.e.s
⏵ 5.1. Profil et formation
Que doit savoir faire un.e enseignant.e qui souhaite enseigner dans une classe immersive ?
Les enseignant.e.s ayant le profil idéal pour l'enseignement immersif sont une denrée rare. Il faut des enseignant.e.s formé.e.s pour le degré cible, qui connaissent le système scolaire local, qui disposent de compétences langagières élevées dans la langue de l'école et dans la langue étrangère souhaitée et qui ont suivi une formation continue en didactique bilingue. Actuellement, il n'existe pas encore beaucoup d'offres de formation continue. Au début, un groupe interne à l'école, accompagné par un.e spécialiste on the job, serait également envisageable.
Au début, les enseignant.e.s doivent être courageux/courageuses et prêt.e.s à prendre des risques.
L'âge ne joue aucun rôle. Il y a des jeunes enseignant.e.s qui ont par exemple fait un de leurs stages dans une classe immersive et qui souhaitent avoir une telle classe pour leur premier emploi. Mais il y a aussi des enseignant.e.s qui, après avoir enseigné pendant un certain temps, ont envie de nouveauté et voient dans l'enseignement immersif un nouveau défi.
L'enseignement immersif requiert des enseignant.e.s avec des aptitudes communicatives marquées, doté.e.s notamment d’une excellente expression non verbale (gestes, mimiques). Leur enthousiasme doit leur permettre de gagner la joie et l'attention des élèves, même si ces derniers ont l'impression de devoir relever un défi linguistique supplémentaire dans la discipline.
Pour les filières bilingues, on recrute activement des enseignant.e.s bien formé.e.s. En Suisse, les jeunes diplômé.e.s d'une haute école pédagogique reçoivent un soutien financier s'ils ou elles effectuent leur première année professionnelle dans une autre région linguistique (Movetia: NALE).
Raphael Berthele
Gian-Paolo Curcio
Comment les futur.e.s enseignant.e.s peuvent-ils et elles acquérir des compétences en didactique bilingue ?
Les Hautes Écoles Pédagogiques (HEP) bilingues ou trilingues du Valais, de Fribourg et des Grisons permettent d'étudier dans un contexte plurilingue. A la HEP Valais, l’équivalent d’un tiers de la formation est réalisé au contact de l’autre langue (français-allemand). Cette immersion amène non seulement un enrichissement biculturel mais encore une connaissance des deux plans d’études et une découverte de la culture scolaire de l'autre partie du canton.
La PH Graubünden dispose de deux chaires de «didactique intégrée du plurilinguisme», l'une axée sur l'italien (direction: Prof. Dr. Vincenzo Todisco) et l'autre sur le romanche (direction: Prof. Dr. Rico Cathomas). Il s'agit d'étudier et d'enseigner comment les élèves apprennent plusieurs langues et comment les enseignant.e.s enseignent plusieurs langues.
Dans leur filière bilingue, la PHBern et la HEP-BEJUNE proposent, comme les autres HEP des cantons bilingues ou trilingues, un diplôme avec la mention bilingue qui exige que les étudiant.e.s suivent une partie des cours et des stages dans la langue partenaire. La particularité de cette filière réside dans le fait que trois semestres d'études sont effectués à la PHBern (en allemand) et trois autres à la HEP-BEJUNE (en français).
En principe, la possibilité d’un séjour d’études d’un semestre est ouverte à tou.t.es les étudiant.e.s d'une HEP suisse. Les enseignant.e.s encore en formation peuvent effectuer un semestre dans une HEP de l'autre partie du pays et sont soutenu.e.s dans cette démarche par Movetia.
Certaines HEP offrent à leurs étudiant.e.s la possibilité d'effectuer un stage dans une classe immersive Les enseignant.e.s neuchâtelois.e.s du programme PRIMA proposent chaque année de nombreuses places de stage dans leurs classes à des étudiant.e.s de différentes HEP de Suisse alémanique (les PH FHNW, PH Zoug et la PH Schaffhouse profitent de cette offre).
Dans certaines HEP, il est possible de suivre des modules spécifiques à l'enseignement immersif. Cela implique que les formateurs/formatrices de différents domaines (langue et discipline) collaborent de manière interdisciplinaire. Les offres bilingues dans les HEP peuvent se dérouler dans un cadre restreint ou plus large: de courts îlots immersifs (îlots immersifs, p. 34-36) avec les sciences et le français à la PH FHNW, une semaine de projet annuelle sur le thème du sport et des langues étrangères à la PH Zurich, un module de spécialisation complet en tant que coopération des départements d’éducation physique et sportive et des langues étrangères à la PH FHNW ou encore un projet de recherche sur l'apprentissage et l'enseignement des langues et de la musique à la hep Vaud.
Thierry Rohmer
Raphael Berthele
Comment les enseignant.e.s déjà en poste peuvent-ils et elles acquérir des compétences en didactique bilingue ?
Pour lancer un projet immersif, il est rarement possible d’attendre qu’une formation complète soit assurée aux enseignant.e.s ou que tout le matériel pédagogique soit déjà disponible – sinon, le projet risque de ne jamais démarrer. Le développement doit donc se faire par étapes. Une collaboration étroite avec un établissement d’enseignement supérieur, qui accompagne et soutient le projet, est par ailleurs indispensable.
ANIMA (NE) et SOprima (SO) offrent une possibilité idéale de commencer «facilement» et d'étendre progressivement le projet au fur et à mesure que l'expérience et l'assurance augmentent. Une autre méthode précieuse est l'échange d'enseignant.e.s entre régions, par exemple des enseignant.e.s soleurois.e.s à Neuchâtel ou des enseignant.e.s alsacien.ne.s à Bâle et inversement (cf.projet «Immersion autrement»).
Pour un enseignement immersif couronné de succès, les enseignant.e.s ont besoin:
- de solides connaissances linguistiques, qui peuvent par exemple être rafraîchies par des cours de langue spécifiques à la profession ou des séjours dans la région de la langue cible - idéalement dans une école,
- de connaissances de base sur l'enseignement immersif, afin d’intégrer la langue et les contenus disciplinaires,
- d’un large répertoire de méthodes et d'idées d'enseignement, qui peut être élargi par exemple par des stages d'observation,
- de conseils individuels, par exemple par de visites de cours accompagnées d'un coaching,
- de connaissances approfondies grâce à des journées de formation continue ou à un CAS, afin de pouvoir transmettre leurs connaissances en tant que multiplicateurs/multiplicatrices avec le diplôme obtenu,
- de connaissances sur le matériel existant pour l’enseignement immersif et de connaissances didactiques pour la préparation de leur propre matériel d'enseignement.
Giuseppina Biundo
⏵ 5.2. Collaboration dans l'équipe
Dans le cadre d’un enseignement immersif, l’intégration au sein d’une équipe est d’un grand soutien. Cette équipe peut être interne à l’établissement si d’autres enseignant.e.s y dispensent également un enseignement immersif, ou elle peut se former au sein de groupes de travail et de formation inter-établissements. Les directions d’établissement rapportent qu’elles constatent une collaboration plus étroite au sein des équipes grâce à l’introduction de l’enseignement immersif.
Au début, il peut sembler que le projet immersif ne concerne que les enseignant.e.s qui dispensent des cours en deux langues, laissant à penser que pour leurs collègues qui continuent d’enseigner dans la langue de l’établissement, rien ne change. Cependant, l’expérience montre qu’il est judicieux d’impliquer aussi, et dès le départ, ces enseignant.e.s dans le projet. La portée du projet s’en trouve renforcée lorsque tous les collègues sont engagés. Par exemple, un.e enseignant.e peut se référer à des contenus et intégrer des aspects dans son enseignement qui sont abordés dans l’autre langue, ainsi qu’utiliser des matériels affichés dans la classe (tels que les jours de la semaine, les nombres, les couleurs, ou des schémas thématiques), même s’il ou elle ne maîtrise pas (encore) très bien l’autre langue. Cela favorise la cohérence.
Lors de l'introduction de l'enseignement immersif à un certain niveau, il est essentiel d'informer l'ensemble de l'équipe inter-niveaux. Les enseignant.e.s doivent savoir où elles et ils envoient leurs élèves et d'où ces derniers viennent.
Enfin, une communication fluide et transparente entre tous les niveaux – c’est-à-dire entre les enseignant.e.s, les directions et les responsables au sein du service – est d'une importance capitale pour la réussite du projet.
⏵ 6. Élèves
⏵ 6.1. Soutien des élèves
Quelles pratiques facilitent le début de l’enseignement immersif ?
Au commencement, l'enseignement immersif peut éventuellement aussi susciter de l’appréhension et des incertitudes chez les élèves. Il est essentiel de lever les éventuels malentendus et de clarifier que l'enseignement immersif n'entraîne pas de baisse des notes. La langue étrangère y est avant tout un outil, non le sujet d’apprentissage principal, bien que l’enseignement immersif offre également une occasion d'améliorer les compétences linguistiques.
Les élèves ont la liberté de continuer à s’exprimer dans la langue scolaire. Un principe fondamental de l'enseignement immersif est de garantir que tous les élèves progressent ensemble et que personne ne soit limité dans l’apprentissage des contenus par des obstacles linguistiques. Des succès initiaux par une entrée linguistique simple sont indispensables pour permettre à tous/toutes les élèves de constater qu’elles et ils sont capables de suivre la matière en langue étrangère. Intégrer des moments de révision régulière, où les élèves peuvent tester et consolider leurs connaissances, s'avère utile.
Pour renforcer l'efficacité de l'enseignement immersif, l’enseignant.e devrait souvent illustrer et démontrer les contenus, et rendre les concepts abstraits plus accessibles grâce à des supports visuels comme des images, des vidéos ou des graphiques, auxquels les élèves peuvent se référer à tout moment. Des affiches et autres supports visuels disposés sur les murs de la classe constituent également une aide précieuse dans cet environnement d'apprentissage immersif.
Marie-Antoinette Oberdorf
Marie-Antoinette Oberdorf
Pia Effront-Finck
⏵ 6.2. Élèves avec des problèmes d’apprentissage
L’enseignement immersif impose-t-il une charge excessive aux élèves en difficulté ?
Pour un enfant ayant des difficultés d’apprentissage ou traversant une situation stressante — qu’il s’agisse de problèmes familiaux, de défis scolaires ou d'autres facteurs — des signes de surcharge peuvent apparaître. Cependant, cette surcharge est en général due à une accumulation de facteurs, et non spécifiquement à l’enseignement immersif. Les signes de cette surcharge peuvent parfois se manifester plus intensément ou rapidement dans le comportement scolaire lorsque l'enseignement se fait en deux langues. Le problème n'est pas le bilinguisme en lui-même, qui peut tout au plus jouer un rôle de déclencheur.
Même dans un contexte immersif, les enfants ayant des difficultés cognitives n’accèdent pas soudainement aux meilleures performances scolaires. Ils peuvent néanmoins progresser, tant sur le plan disciplinaire que linguistique, même si ce progrès se situe à un niveau plus modeste.
⏵ 6.3. Élèves allophones
L’enseignement immersif impose-t-il une charge excessive aux élèves ayant une autre première langue ?
Dans l’enseignement immersif, l’avantage des élèves ayant déjà une haute compétence dans la langue de l’école se relativise. Lorsqu’une discipline est enseignée dans une langue étrangère, le défi linguistique se pose de manière similaire pour toutes et tous. Les élèves ayant une première langue différente ont souvent déjà développé des stratégies pour naviguer dans des contextes où ils ne comprennent pas tout, et ces compétences leur sont précieuses dans le cadre immersif.
Il est intéressant de constater que les élèves monolingues, moins accoutumés aux obstacles linguistiques, peuvent parfois rencontrer plus de difficultés au début de l’enseignement immersif que leurs camarades plurilingues. En effet, les enfants et adolescent.e.s qui utilisent déjà plusieurs langues au quotidien sont plus à l’aise avec le passage d’un système linguistique à l’autre.
On associe souvent les élèves allophones aux enfants et jeunes issus de familles défavorisées sur le plan socio-économique, oubliant ainsi qu’un grand nombre d’entre eux proviennent de familles avec un investissement scolaire important, où le plurilinguisme est perçu comme une chance plutôt qu’un défaut.
Les élèves allophones ont besoin d'un apport linguistique important dans la langue locale afin de développer les compétences nécessaires dans la langue de l'école. Le contact avec la langue locale est complété par l'environnement d'apprentissage extrascolaire. L'argument selon lequel les élèves allophones feraient moins de progrès dans l'acquisition de la langue de l’école à cause de l'enseignement immersif est nuancé par des études sur l’enseignement immersif. Ces études montrent que les compétences dans la langue de scolarisation ne sont pas affectées par le fait qu’elle soit utilisée dans un nombre restreint de disciplines (voir par exemple PRIMA à NE). Au contraire, notre répertoire linguistique est un ensemble de langues qui ne sont pas en concurrence mais se renforcent mutuellement, contribuant ainsi à l’acquisition de compétences qui sont communes à toutes les langues.
⏵ 7. Supports pédagogiques
Quels supports pédagogiques sont disponibles pour l’enseignement immersif ?
La disponibilité de supports pédagogiques adaptés est cruciale, en particulier lors des premières étapes de la mise en place de l’enseignement immersif. En effet, le manque de matériel adapté peut freiner l’adoption de cette méthode.
Actuellement, les ressources spécifiquement conçues pour l’enseignement immersif restent limitées, principalement pour deux raisons: un marché encore restreint et une grande diversité de contextes pédagogiques. En effet, les besoins varient en fonction de nombreux facteurs, comme le niveau d’expérience en immersion, le nombre d’années d’enseignement de la langue étrangère, la coexistence ou non de l’enseignement de la langue étrangère et la composition linguistique de la classe (monolingue, plurilingue ou en immersion réciproque). Par ailleurs, la proportion d’enseignement réalisée en immersion diffère également selon les programmes. Face à cette diversité, nombreux.ses sont les enseignant.e.s qui créent eux-mêmes des supports pédagogiques pour répondre aux besoins spécifiques de leurs élèves.
Cependant, ces dernières années, quelques ressources pour l’enseignement immersif ont vu le jour, financées par des subventions cantonales, universitaires et fédérales. Parmi ces initiatives, on peut citer des projets comme VABENE/VABENEJU, bili-macht-schule, BILUPP et un guide et une collection d'idées pour les enseignant.e.s. Bien que ces ressources puissent constituer un bon point de départ, elles nécessitent souvent une adaptation aux réalités de chaque classe. Un des objectifs de ces projets est également la formation continue des enseignant.e.s participant.e.s, afin qu’ils et elles puissent développer, à l'avenir, leurs propres supports pédagogiques en s’appuyant sur des critères didactiques solides.
Le développement de supports pédagogiques demande du temps et des ressources. Certaines régions et cantons soutiennent cet effort, en offrant des heures de décharge ou des compensations financières aux enseignant.e.s.
Thierry Rohmer
Caroline Kempf
Giuseppina Biundo
Pourquoi le matériel pour l'enseignement immersif n'est-il pas encore plus mutualisé ?
Actuellement, le matériel pour l'enseignement immersif reste insuffisamment partagé. Il arrive souvent que chaque enseignant.e crée de nouvelles ressources, malgré l'existence de matériel similaire ailleurs. Plusieurs raisons expliquent cette réticence au partage, notamment l'absence de droits d'auteur ou de droits d'image clairs, un manque de reconnaissance de la valeur de ces ressources, ou des doutes sur leur conformité à certaines normes de qualité.
Cependant, la numérisation facilite la mutualisation, et de plus en plus de groupes commencent à partager leur matériel. Dans les écoles privées, le partage de ces ressources est devenu une norme incontournable, tandis que dans le secteur public, des initiatives telles que le projet ENSEMBLE ou des offres de formation continue sous forme d'accompagnement pratique encouragent activement ce type de collaboration.
Marie-Antoinette Oberdorf
Pia Effront-Finck
Marie-Antoinette Oberdorf
Giuseppina Biundo
⏵ 8. Coopération avec les parents
Quelle est l’opinion des parents sur l’enseignement immersif dans une langue nationale ?
Dans certaines régions, les parents comprennent mal pourquoi les langues nationales sont promues dans l’enseignement immersif au lieu de l’anglais. Dans ce contexte, il est essentiel de fournir des informations détaillées sur l’importance et le rôle des langues nationales.
Une fois un projet bilingue bien établi, la résistance des parents diminue généralement de manière significative. Au contraire, de nombreux parents se plaignent lorsque leur enfant ne peut pas bénéficier d’un tel programme en raison de son affectation dans une autre école ou classe.
Dans quelle mesure peut-on répondre aux attentes des parents ?
Les parents doivent être pleinement informés, et la communication doit idéalement se faire de manière coordonnée entre le service, la direction d’école et les enseignant.e.s. Il est crucial que les parents comprennent les objectifs de l’enseignement immersif et sachent comment soutenir leur enfant de manière optimale.
Bien que les préoccupations des parents soient importantes, la priorité reste de garantir des conditions d’enseignement et d’apprentissage optimales pour les élèves.
Pia Effront-Finck
⏵ 9. Suivi scientifique
À quoi faut-il faire attention lors d’une étude scientifique sur l’enseignement immersif ?
Les recherches sur l’enseignement immersif portent entre autres sur les questions suivantes:
- Quels niveaux de compétences en langues étrangères les élèves atteignent-ils/elles dans un contexte immersif?
- Quelles compétences disciplinaires développent les élèves grâce à l’enseignement immersif?
- Quel est l’impact de l’enseignement immersif sur un groupe d’apprenants hétérogène, et en particulier sur les élèves avec des difficultés d’apprentissage ou allophones?
- Quelles sont les attitudes des élèves face à l’enseignement immersif?
- Dans quelle mesure cet enseignement contribue-t-il au développement de compétences interculturelles?
- Quels sont les aspects méthodologiques et didactiques propres à un enseignement immersif réussi?
- Dans quelle mesure les enseignant.e.s peuvent-elles/ils être soutenu.e.s dans la mise en œuvre de l’enseignement immersif?
Certain.e.s chercheur.e.s estiment qu’il existe encore trop peu d’études pour affirmer avec certitude que l’enseignement immersif présente des avantages clairs. Ils et elles critiquent en particulier le fait que les recherches soient souvent menées dans des projets où une sélection des élèves est opérée, ce qui pourrait fausser les résultats, car les performances des élèves sélectionnés seraient naturellement meilleures que celles des élèves de classes ordinaires.
En Alsace, par exemple, certaines études ont été réalisées dans des quartiers privilégiés, ce qui peut entraîner des biais.
Toutefois, cette critique ne s’applique pas aux études suisses, comme celles sur la Filière immersive à Bienne (Jenny 2023), sur les écoles primaires immersives des Grisons (Serra 2007) ou sur le programme PRIMA (PRIMA II 2015-1018). Dans ces programmes immersifs, les élèves sont réparti.e.s uniquement en fonction de la zone de résidence, ce qui évite toute distorsion due à la sélection, sauf si certains parents y déménagent exprès, ce qui est plutôt rare.
Raphael Berthele
Pourquoi est-il nécessaire d'assurer un suivi scientifique lors de la mise en place d'un projet bilingue ?
Le suivi scientifique est essentiel lors de l'implémentation d'un projet bilingue d'envergure. Il sécurise le processus à tous les niveaux, du service aux élèves et à leurs parents, en passant par la direction d'école et les enseignant.e.s. Elle permet de documenter l'état actuel du projet, d'identifier à temps les défis potentiels et de les aborder de manière ciblée.
Les connaissances acquises grâce à ce suivi scientifique peuvent être directement intégrées dans la formation continue des enseignant.e.s. Par exemple, le projet Boujean/Bözingen «Ponts-Brücken» a bénéficié d’un suivi scientifique dès 2001, permettant de former les enseignant.e.s impliqué.e.s. Les projets FiBi (dès 2010) et ClaBi (de 2019 à 2023) ont également allié accompagnement scientifique et formation continue. Depuis 2011, le programme PRIMA inclut un suivi scientifique, dont les résultats enrichissent aussi la formation continue. Un suivi similaire est prévu pour le projet SOprima lors de l’année scolaire 2024/25.
Enfin, pour intégrer un projet immersif dans un programme cantonal, un rapport scientifique est indispensable pour fournir aux actrices/acteurs politiques une base solide d’évaluation et de décision.
Que révèlent certaines études ?
Des études menées dans le Tyrol du Sud sur la didactique intégrée du plurilinguisme montrent comment les langues s'enrichissent mutuellement lorsqu'elles sont apprises en réseau (p. ex. Guardo et al. 2022).
Des recherches sur le programme PRIMA ont montré que les élèves des classes immersives franco-allemandes ont un an d'avance dans leur 2e langue étrangère qu’est l’anglais, malgré des programmes et des moyens d’enseignement identiques. En allemand, la différence s'élève même à un à deux ans, tandis qu'en français, la langue de scolarisation, ils atteignent un niveau équivalent à celui de leurs camarades.
Pour d'autres résultats d'études, voir Kursmappe, chapitre 1.3).